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I AM NOT YOUR NEGRO

un film de Raoul Peck.

C’est sur la base d’un inédit de l’écrivain noir américain James Baldwin (1924-1987) que Raoul Peck, cinéaste haïtien, a réalisé ce très impressionnant documentaire. La sélection d’images d’archives, formidablement montée par celui-ci, donne au texte de l’écrivain, lu dans sa version originale en voix off par Samuel L. Jackson, une puissance d’interpellation qui ne devrait laisser personne indifférent. Que nous soyons américains ou non, ces mots et ces phrases, et les images choisies par le réalisateur, nous atteignent, nous qui sommes tous tentés par les facilités destructrices des stéréotypes et qui avons si vite fait d’user de mots ou de termes méprisants envers les minorités.

Dans son texte, James Baldwin se réfère à sa propre histoire, lui qui est né en 1924 dans le quartier de Harlem à New York et qui, dès l’âge de 24 ans, choqué par les actes de discrimination dont il fut le témoin ou la victime (double discrimination, d’ailleurs, puisque l’écrivain est noir et homosexuel), prend la décision de quitter son pays pour s’établir en France. Pourtant, en 1957, il estime que son devoir est de retourner chez lui, aux Etats-Unis, d’être aux côtés de ses frères en lutte, de s’impliquer dans le combat pour les droits civiques envers ceux qui en sont les exclus. James Baldwin se rapproche alors de trois des militants les plus célèbres pour la cause des Noirs aux Etats-Unis, Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King.

Tous trois, et en particulier les deux derniers, sont longuement évoqués dans le texte de Baldwin et donc également par le biais des images d’archives réunis par Raoul Peck. Mais le documentaire ne se cantonne pas à la simple commémoration de ces quelques figures iconiques, ni aux extraits de conférences et d’interviews données par l’écrivain, il a également l’ambition de montrer comment l’histoire du pays est inséparable de celle de sa minorité noire. L’histoire des Etats-Unis et celle des Noirs se confondent, explique Baldwin, et ce n’est pas une belle histoire. Il n’y a vraiment pas de quoi s’enorgueillir !

L’écrivain va encore plus loin, comparant le sort réservé aux Indiens d’Amérique, en grande partie massacrés ou entassés dans des réserves, à celui qui pèse sur la communauté noire, jamais vraiment intégrée dans le pays, même sous la présidence de Barack Obama. L’Amérique a toujours pris soin de privilégier les clichés lorsqu’il s’agit des Noirs, l’image diffusée étant délibérément caricaturale, afin de pouvoir mieux sinon les haïr en tout cas s’en méfier. Les Noirs eux-mêmes, évidemment, ne se sont jamais reconnus dans ces images de « Nègres » qu’ont leur mettait sous les yeux, y compris dans les spectacles, au cinéma ou à la télévision. Pour James Baldwin, l’Amérique ne sait comment se comporter envers les Noirs qu’elle a fait venir, contraints et forcés, pour travailler dans les champs de coton. Au fond, plus d’un, aujourd’hui, qu’il se l’avoue ou non, aimerait pouvoir se débarrasser d’eux (comme on s’est « débarrassé » des Indiens!).

Quant à nous, Européens, Français, ne nous contentons pas d’écouter le texte de Baldwin et de voir les images rassemblées par Raoul Peck à la manière de simples spectateurs qui n’ont rien à voir avec ça ! Ce n’est certes pas notre histoire que celle de l’Amérique, mais notre histoire est-elle plus glorieuse et plus belle que celle des USA ? Pas sûr ! Que faisons-nous de nos propres minorités ? Comment nous sommes-nous comportés envers elles ? Quel sort réservons-nous aux Roms ? Quels clichés nous plaisons-nous à diffuser au sujet des Musulmans ? Comme dit Jésus, ne nous complaisons pas à enlever la paille qui se trouve dans l’oeil de notre voisin d’Amérique alors qu’il se trouve peut-être une poutre dans notre œil de Français !

NOTE:  9/10

Luc Schweitzer, ss.cc.