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JEANNETTE

un film de Bruno Dumont.

 

L’an dernier, à la fin de ma critique du film précédent de Bruno Dumont (« Ma Loute ») que j’avais trouvé irritant et grotesque, je me référais à une interview dans laquelle le cinéaste indiquait que son film suivant serait sur Jeanne d’Arc et j’exprimais mes craintes et mon sarcasme. J’avais tort. Il est vrai que je n’imaginais pas une seconde, à cette date-là, que le projet de Bruno Dumont était d’adapter des textes de Charles Péguy (en l’occurrence de son « Jeanne d’Arc » écrit en 1897 et du « Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc » écrit en 1910). Je n’imaginais pas non plus qu’il s’agirait d’une comédie musicale chorégraphié par Philippe Decouflé et mise en musique (électro métal) par un certain Igorrr dont j’ignorais jusqu’au nom.

Une fois informé, on peut certes avoir l’impression de rêver ou d’avoir affaire à une mauvaise farce, ce qui va bien avec les orientations facétieuses prises par le cinéaste depuis le tournage de la série télévisée « P’tit Quinquin » (2014). Faire dialoguer et s’accorder des univers aussi dissemblables et lointains que ceux de ces différents artistes, ce n’est pas une gageure, cela ressemble plutôt à un projet totalement insensé et casse-gueule. Qui aurait misé un centime d’euro sur la réussite d’une telle entreprise ?

Eh bien, étrangement, il m’a semblé que le résultat fonctionne assez bien ! Il n’y a pas besoin de faire un gros effort pour se laisser prendre au jeu. Malgré son dépouillement extrême, ses décors minimalistes (le cinéaste n’a pas jugé utile de tourner en Lorraine, mais il s’est contenté des dunes et des moutons de sa région de prédilection, le Nord) et ses moyens limités, le film provoque, ou peut provoquer en tout cas, un effet de séduction assez irrésistible. Son charme et sa beauté, il les doit au texte de Péguy qui, même s’il peut sembler, par moments, encombré de quelques archaïsmes, se prête formidablement à la déclamation et au chant, et à la grâce (et à l’innocence, pourrait-on dire) de ses interprètes, ainsi qu’à quelques bonnes idées de mise en scène assez simples mais judicieuses (comme de faire se dédoubler le personnage de Madame Gervaise, joué par deux actrices).

Le film doit beaucoup à la grâce émanant des deux actrices en herbe sur qui repose le rôle titre : Jeannette à 9 ans jouée par Lise Leplat Prudhomme et Jeanne à 15 ans (qui ne veut plus être désignée par son diminutif) jouée par la bien nommée Jeanne Voisin. Toutes deux ont beau être totalement novices au cinéma, elles excellent, elles convainquent sans peine et ce à cause même de leur manque d’expérience. Il fallait ne pas manquer d’audace pour leur faire dire et chanter les textes de Péguy. Or elles le font avec une sorte de fraîcheur et de pureté qui s’accorde très bien avec les écrits du poète. Même leur semblant de gaucherie, quand elles dansent ou quand elles chantent, convient à leur rôle. Elles, ainsi que les quelques autres acteurs amateurs qui interviennent au cours du film, lui donnent, comme de façon naturelle, la marque de la candeur et de la simplicité, au point que l’on a le sentiment d’assister à la version modernisée d’un Mystère semblable à ceux qui avaient cours au Moyen-Âge (ce n’est pas par hasard si, précisément, l’un des textes de Péguy porte ce titre de « Mystère »). En somme, en dépit de quelques maladresses de mise en scène (totalement assumées par le réalisateur) ou peut-être aussi à cause d’elles, en dépit de l’aspect tonitruant de la musique d’Igorrr et en dépit des déhanchements parfois surprenants auxquels se soumettent les actrices pendant les chorégraphies, ce qui émane du film, par-dessus tout, c’est la grâce de l’enfance. Même si l’expression semble un peu galvaudée, oui, on peut le dire, ce film, qui nous arrive après tant d’autres productions sur Jeanne d’Arc, n’en est pas moins marqué du sceau de l’originalité et surtout est touché par la grâce.

NOTE:  8/10

Luc Schweitzer, ss.cc.