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LE PORTRAIT INTERDIT

un film de Charles de Meaux.

 

Ce film étonnant a été inspiré à son auteur, Charles de Meaux, par un tableau exposé au musée de Dole (Jura), un portrait peint par le jésuite Jean-Denis Attiret à la fin du XVIIIème siècle représentant Ulenara, une concubine de l’empereur de Chine Qianlong devenue impératrice après la mort de la première femme de ce dernier. En 1768, année durant laquelle se déroule la majeure partie de l’action du film, les jésuites sont présents en Chine depuis presque déjà deux siècles et un de leurs plans de mission consiste à essayer de séduire les élites politiques et intellectuelles du pays. Les religieux estiment en effet que s’ils parviennent à convertir au christianisme les classes dirigeantes, le peuple ne tardera pas à suivre le même chemin, une méthode qui se révèle, en fin de compte, assez peu efficace.

Toujours est-il que, en cette année 1768, les jésuites ont trouvé place au palais de l’empereur. Ils y sont admis par la grâce de leurs multiples talents, entre autres celui de la peinture, un art très prisé mais aussi très codifié dans la Chine de cette époque. D’où la surprise de l’empereur le jour où Ulenara (Fan Bingbing) lui demande, après l’avoir battu à un jeu, la faveur de se faire faire par le jésuite Jean-Denis Attiret un portrait « à l’occidentale » ! Le souverain ayant consenti, le religieux est introduit dans l’intimité de l’impératrice pour de nécessaires séances de poses. Une intimité toute relative cependant puisque sont toujours présents servantes et conseillers. C’est une étrange relation qui s’instaure néanmoins entre le peintre et son modèle, entre le jésuite et la femme délaissée, car son empereur de mari lui préfère déjà d’autres concubines.

Le film raconte une histoire de regards et de fascinations réciproques. Pour la peindre, Attiret a demandé à Ulenara l’autorisation de contempler ses yeux. Mais quelque chose de trouble fait son chemin dans les regards qui se croisent et les longues séances de pose ne sont pas totalement innocentes, même si elles ont lieu devant des témoins qui, parfois, s’effraient d’un geste, d’une petite audace du jésuite. Ce dernier comprend qu’il joue avec le feu, c’est-à-dire avec ses sens, avec l’émoi que suscite en lui sa propre œuvre, sa propre peinture. Car c’est elle qui le perturbe, plus encore que l’être de chair qui en est le modèle.

Fragile et conscient de sa fragilité, Jean-Denis Attiret n’en donne pas moins le sentiment d’être, dans ce film, le jésuite le plus lucide, celui qui perçoit le mieux les erreurs de jugement de ses frères. Ni l’empereur ni les courtisans ne sont dupes : ils savent que les religieux veulent les convertir au christianisme. Mais sont-ils prêts à faire une telle démarche ? Rien n’est moins sûr. Dans des décors somptueux encore hantés par le fantôme de l’impératrice défunte, les regards échangés sont habités de doute et de méfiance. Très beau, très esthétique et, par moments, audacieux dans sa réalisation, ce film passionne aussi du point de vue de ses thématiques et, en particulier, de celle qui concerne la mission dans la lointaine Chine d’un point de vue chrétien et, en l’occurrence, jésuite.

Note:  8/10

Luc Schweitzer, ss.cc.