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BELFAST

Un film de Kenneth Branagh.

 

Si j’avais grandement apprécié quelques-uns des premiers films réalisés par Kenneth Branagh et, tout particulièrement, ses somptueuses adaptations de Shakespeare (par exemple Henry V en 1989 ou Beaucoup de bruit pour rien en 1993), j’avais été peu intéressé par la suite de sa carrière faite, en grande partie, de superproductions hollywoodiennes qui ne sont pas ma tasse de thé. Je suis d’autant plus heureusement surpris par la sortie sur les écrans de ce film-ci, un film personnel, tourné dans le noir et blanc qui lui convient à merveille, dans lequel le réalisateur britannique évoque, avec un grand savoir-faire, une période charnière de son enfance dans la ville de Belfast.

Son alter ego, dans le film, se prénomme Buddy (Jude Hill) et c’est, bien évidemment, son regard d’enfant qui est privilégié tout au long de l’œuvre. J’insiste sur ce point, il est très important, d’autant plus que les auteurs de certaines critiques se plaisent à déplorer les stéréotypes qui, selon eux, encombrent le film. Mais ces poncifs, s’il y en a, ne sont rien de plus que le reflet d’un regard d’enfant, regard que respecte le cinéaste et qui donne au film sa particularité.

En vérité, c’est une œuvre passionnante à beaucoup de points de vue que celle que nous livre là Kenneth Branagh. Dès le début, dès la première scène, la thématique du film saute littéralement aux yeux. L’on y découvre un garçon de neuf ans tout occupé à des jeux où il peut laisser s’exprimer son imaginaire : muni d’un bouclier et d’une épée de bois, il s’amuse à combattre on ne sait quels dragons. Or, tout à coup, en arrière-plan, apparaît une foule d’hommes vociférant, prêts à en découdre, ce qui ne tarde d’ailleurs pas à se produire. La violence se déchaîne tout à coup à Belfast, dans une ville où, jusque là, protestants et catholiques cohabitaient sans trop de heurts. Nous sommes à l’été 1969 quand tout bascule, des bandes de protestants se mettant à piller et brûler les maisons des catholiques. Bientôt, des barricades sont érigées, y compris dans la rue où résident Buddy et ses parents.

À partir de là, tout le film se déploie sous cette double approche. D’une part, malgré les événements en cours, Buddy conserve les intérêts d’un enfant de son âge prompt à s’évader dans l’imaginaire, passionné par les récits d’aventures et découvrant bientôt avec fascination les pouvoirs incroyables du cinéma. Il faut le voir, avec ses yeux ronds comme des billes, regardant, à la télévision John Wayne dans L’Homme qui tua Liberty Valence (John Ford, 1962) ou Gary Cooper dans Le Train sifflera trois fois (Fred Zinnemann, 1952) ou encore, au cinéma, les aventures folles de Chitty Chitty Bang Bang (Ken Hughes, 1968). Ce qui ne l’empêche pas, d’ailleurs, d’être bon élève à l’école (d’autant plus qu’il a le béguin pour une fillette de sa classe, qu’il cherche à rejoindre au premier rang). Pour ce qui concerne les maths, il faut dire aussi qu’il est aidé par son grand-père, un complice de premier ordre.

D’un autre côté, ce garçon de neuf ans se retrouve confronté, trop tôt, à des questions et des dilemmes qui le dépassent. Plus d’une fois, il surprend (ou espionne) ses parents en pleine discussion au sujet de ce qu’il convient de faire. Il faut dire que ceux-ci, tout protestants qu’ils sont, se refusent à prendre parti dans le conflit qui embrase leur ville. Au point que le père de Buddy est menacé de sanctions par l’un des meneurs des émeutiers protestants. Les intimidations se font d’ailleurs si pressantes que, bientôt, les parents de Buddy en viennent à envisager de quitter Belfast, d’autant plus que c’est à Londres que le père travaille. Pour le garçon de neuf ans, devoir quitter sa ville, son environnement, ses amis, la fillette dont il est amouraché, c’est un crève-cœur.

Quant à la religion dans tout cela, c’est peut-être elle qui, précisément, est perçue par Buddy de la façon la plus stéréotypée. Ainsi à propos des catholiques à qui il suffit (c’est ce qu’a compris le garçon) de se confesser pour être pardonnés de leurs fautes, ce qui les autorise à faire ce qu’ils veulent ! Ou de ce pasteur protestant qui (tout comme certains prêtres catholiques d’ailleurs) éructe son mépris pour l’autre camp chrétien. En somme, ce que prêche ce pasteur, c’est exactement ce que refusent les parents de Buddy. À la fin du film, à son garçon qui lui demande s’il y a un avenir possible pour lui et sa petite bien-aimée qui est catholique, le père répond : « Peu importe sa religion ! Si c’est une bonne personne, elle sera toujours la bienvenue chez nous » !  En fin de compte, c’est la grandeur du film de Kenneth Branagh que de donner à voir, dans ce Belfast en effervescence, une famille qui parvient non seulement à rester soudée dans l’adversité mais aussi à garder ses distances d’avec les violents et les intolérants !

8,5/10

 

Luc Schweitzer, ss.cc.