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BLACKKKLANSMAN – J’AI INFILTRÉ LE KU KLUX KLAN

Un film de Spike Lee.

 

Sorti sur les écrans en 1915, « Naissance d’une nation » de D. W. Griffith est généralement considéré par les historiens et les spécialistes comme un jalon marquant de l’histoire du 7ème art. Film à grand spectacle, novateur d’un point de vue formel, il mêle savamment la grande et la petite histoire, racontant la naissance de l’Union du Nord et du Sud au lendemain de la guerre de sécession du point de vue de deux familles parmi d’autres comme du point de vue de la collectivité dans son ensemble. Or, dans sa deuxième partie, ce film ne fait rien moins que l’apologie du Ku Klux Klan, imaginant des justifications à la création de cette organisation et tâchant de prouver que l’Union n’a pu se créer et perdurer qu’en pratiquant le rejet d’éléments considérés comme étrangers à l’identité américaine, au premier rang desquels les Noirs. Le film connut un tel succès qu’il contribua à la réémergence de l’organisation raciste. Aujourd’hui, comme le montre, lors de deux séquences impressionnantes, le film de Spike Lee, même si plus d’un siècle s’est écoulé depuis son tournage, « Naissance d’une nation » reste une référence pour les suprémacistes blancs des États-Unis qui se le projettent volontiers en éructant de plaisir chaque fois qu’apparaissent les membres du KKK et que sont molestés, voire assassinés, des Noirs à l’écran.

Heureusement, il se trouve de nos jours des cinéastes qui ne s’en laissent pas conter et qui s’efforcent de remettre les pendules à l’heure et l’histoire à l’endroit. La « naissance d’une nation », les États-Unis, repose sur un génocide, celui des Indiens, et sur les souffrances insupportables infligées à ceux qui étaient perçus comme inférieurs du point de vue de la race, en particulier les Noirs. Cette gangrène qui ronge l’Amérique n’a jamais totalement disparu. Spike Lee, pour les besoins de son film, raconte une histoire qui se déroule en 1978 à Colorado Springs, celle de Ron Stallworth (John David Washington) qui fut le premier policier noir américain de cette ville.

La suite est bien plus stupéfiante mais, aussi étonnante soit-elle, elle est basée sur des faits réels. Ce policier noir, en effet, réussit l’inimaginable : infiltrer le Ku Klux Klan. Pour ce faire, évidemment, il lui fallut adopter un stratagème : c’était lui en personne qui établissait tous les contacts par téléphone avec les membres du KKK, mais ce fut un de ses collègues, Flip Zimmerman (Adam Driver), qui se fit passer pour lui afin d’intégrer réellement l’organisation. Or, on le devine à son nom véritable, ce policier se faisant passer pour un raciste du nom de Ron Stallworth était un Juif, ce que subodora sans pouvoir le prouver un des adeptes du KKK, société qui déteste les Juifs (« tueurs du Christ ») presque autant que les Noirs. Ironie de l’histoire : ce fut précisément à cause de toute cette aventure que Flip Zimmerman, qui ne s’en souciait guère jusque là, prit réellement conscience de sa judéité.

Il faut le reconnaître, Spike Lee ne fait pas dans la dentelle. Les membres du KKK, dans son film, apparaissent particulièrement bas du plafond et l’on peut se demander dans quelle mesure leurs propos haineux sont caricaturaux. Reste cependant ce que vise avant tout le cinéaste : l’efficacité. Et, sur ce terrain, le film est indéniablement réussi. Après tout, quand on a affaire à une organisation aussi détestable que le KKK, les précautions et les nuances n’ont rien d’obligatoire, me semble-t-il. Le cinéaste tape fort et néanmoins tape juste, se posant clairement la question de la riposte nécessaire face à la haine raciste des suprémacistes blancs. Question qui demeure d’actualité comme le montrent les séquences de la fin du film tournées lors des émeutes de Charlottesville qui, le 12 août 2017, virent s’affronter des tenants de l’extrême droite et des militants antiracistes. Car, bien sûr, si la majeure partie du film de Spike Lee raconte des faits s’étant déroulés en 1978, celui-ci interpelle ouvertement l’Amérique d’aujourd’hui, celle qui a donné la victoire à Donald Trump. Lui non plus ne fait pas dans la dentelle, n’est-ce pas, c’est le moins qu’on puisse dire !

NOTE:  8/10

Luc Schweitzer, ss.cc.