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CE SENTIMENT DE L’ÉTÉ

un film de Mikhaël Hers.

Il faut faire preuve de beaucoup de réserve et de beaucoup de délicatesse pour bâtir et réaliser un film ayant pour principal sujet ce qu’on appelle communément le travail de deuil. Or ce sont précisément ces qualités-là qui irriguent tout le film de Mikhaël Hers. Toutes les scènes larmoyantes sont soigneusement omises par le réalisateur qui préfère très judicieusement suggérer la peine et la souffrance plutôt que de les donner en spectacle. Cette retenue est d’autant plus pertinente que le sujet même du film (le travail de deuil, donc) est empreint d’une dimension universelle. Qui n’a pas perdu un être cher et qui n’a pas éprouvé la douleur de l’absence ? Nul besoin, par conséquent, d’être démonstratif : un geste, un signe, un objet suffisent à évoquer la personne disparue et l’on imagine sans difficulté le degré de souffrance qui ne demande qu’à surgir dans le cœur de ceux qui restent. On le sait, on sait par expérience ce que c’est que d’éprouver cette douleur-là.

C’est au fil de trois étés que Mikhaël Hers a choisi de dérouler son récit : une saison que d’instinct on aimerait associer à la joie de vivre et à l’insouciance. Mais ce lieu commun est ici refusé : c’est en été que survient la brutalité d’un décès et c’est en été que l’absence de l’être aimé se fait davantage ressentir.

Trois étés et trois villes : Berlin, Paris (avec un passage par Annecy) et New-York. A Berlin, un matin d’été, une jeune femme se lève, s’éloigne du lit où dort son compagnon, s’habille et se rend à son travail de sérigraphiste. Une journée comme une autre… Sauf que, quittant son lieu de travail et marchant dans un parc, la jeune femme tout à coup s’écroule. Peu de temps après, à l’hôpital, elle décède. On ne saura pas grand chose d’elle, mais on découvre son compagnon d’origine américaine, Lawrence (Anders Danielsen Lie) et, bientôt, la famille de Sasha (la jeune femme décédée) et tout particulièrement Zoé (Judith Chemla), sa petite sœur.

Mikhaël Hers ne montre rien des obsèques. Il multiplie les ellipses pour mieux attarder sa caméra sur les deux personnages qu’il a choisi de suivre au cours de trois étés : Lawrence et Zoé qui, tous deux touchés au plus intime de leur être par la perte de Sasha, nouent une relation faite à la fois de proximité et de distance. Leur complicité comme leur éloignement s’expriment le plus souvent en mode mineur, par de petites touches et de petits signes : nul besoin de grands discours ni de grandes effusions pour laisser entrevoir ce qui habite les cœurs. « Les grandes douleurs sont muettes », on le sait. Et c’est encore plus vrai quand on a affaire à des êtres pétris de pudeur et de discrétion comme le sont Lawrence et Zoé.

Après l’été de Berlin, leurs chemins se croisent à nouveau : un été à Paris, l’autre à New-York. Avec toujours, invisible mais ô combien réelle, la présence/absence de Sasha. Est-ce qu’avec le temps on oublie ? La douleur s’apaise-t-elle vraiment ? Pas sûr. Mais on apprend à vivre quand même, tout en portant ce poids secret qui ne peut être partagé (même tacitement) qu’avec un cœur qui en est également blessé.

C’est ce secret des cœurs que fait entrevoir Mikhaël Hers en optant pour la simplicité et un parti-pris de minimalisme. Certains critiques jugeront peut-être que, du coup, le film en devient presque insignifiant. Pour ce qui me concerne, si je déplore certes quelques longueurs, je n’en ai pas moins été touché par les personnages tels qu’ils sont mis en scène et je n’en ai pas moins apprécié la manière du réalisateur. Ce film tout en sensation, tout en finesse, tout en délicatesse, a de quoi faire vibrer nos cordes les plus intimes. 

Note:  7,5/10

Luc Schweitzer, sscc.