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CHOCOLAT

un film de Roschdy Zem.

Il est des rencontres qui changent une destinée, qui transforment une vie qui semble banale et obscure en une existence hors du commun, vouée à la gloire puis à la déchéance. Celle de Chocolat (Omar Sy, extraordinaire), le clown qui s’exhibe dans un cirque miteux où il a pour mission de faire peur aux enfants, bascule lorsque Footit (James Thierrée) lui propose de former un duo avec lui. Mais c’est une deuxième rencontre qui les propulse, tous deux, sous les feux des projecteurs et sur le devant de la scène, celle d’un producteur d’une grande salle parisienne (Olivier Gourmet). Adieu le petit cirque sans ambition : les deux compères ont tôt fait d’acquérir le rang de célébrités. On se presse, on se bouscule pour les applaudir.

Nous sommes au tournant du XIXème et du XXème siècle et si les prestations des clowns Footit et Chocolat remportent un franc succès, c’est en grande partie à cause de leur caractère inédit. Non seulement Chocolat apparaît comme le premier clown noir de l’histoire mais chaque spectacle se conclut invariablement par la rouée de coups que lui donne son partenaire. C’est cela qui amuse le plus les spectateurs : un clown noir qui reçoit des claques et des coups de pied au derrière ! C’est l’auguste que le clown blanc domine, voire humilie, sauf qu’en l’occurrence l’auguste est noir et que, de ce fait, les rires des spectateurs ne sont pas dénués de pensées ou d’arrière-pensées racistes. Une promenade à l’exposition coloniale du bois de Vincennes (1907) ou un projet d’affiche qui caricature outrageusement l’acteur noir ne feront que confirmer ce qui est flagrant : le racisme est monnaie courante en France en ces années-là.

Chocolat, Rafael Padilla de son vrai nom, se rêverait bien, lui en comédien shakespearien plutôt qu’en clown qui reçoit des baffes. Et pourquoi pas dans le rôle d’Othello, rôle dédié à un noir mais qu’on a coutume de proposer à des acteurs blancs dont le visage est peinturluré ? Reste à savoir si le public est prêt à accepter cette transformation : le clown Chocolat se changeant en comédien de Shakespeare… Non seulement le pari est risqué mais il pourrait se solder par l’irrémédiable déclin de celui que les foules adulaient, à condition qu’il se laisse battre par son comparse.

Est-il besoin de faire de longs discours pour expliquer combien l’histoire du clown Chocolat reste d’actualité ? Certes le contexte a bien changé en un peu plus d’un siècle, mais le racisme n’a malheureusement pas pris son congé. Il suffit de tendre l’oreille, il suffit de naviguer quelque peu sur le web pour en trouver ici et là les relents nauséabonds. Les propos orduriers et les termes méprisants ont tôt fait de surgir quand l’occasion s’y prête.

Le film de Roschdy Zem n’a donc pas seulement le mérite de faire mémoire d’un personnage ayant réellement existé mais il nous interpelle et nous interroge. Son caractère pédagogique est avéré, mais il convient aussi d’en encenser la réalisation même si elle n’est pas parfaite. On peut certes déplorer quelques maladresses, mais elles n’altèrent que bien peu la qualité du film. Il faut souligner la justesse des décors, admirer de nombreuses bonnes idées de mise en scène et, surtout, accorder une salve d’applaudissements à Omar Sy : son interprétation du clown Chocolat est époustouflante. Puisse-t-elle nous inciter à changer nos regards, à en chasser tout ce qui s’apparente, de près ou de loin, au mépris de l’autre, quelles que soient ses différences !

NOTE:  8/10

Luc Schweitzer, sscc.