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COMME UN AVION

Beaucoup parmi les meilleurs films proposés sur les écrans sont comme des miroirs reflétant la dureté des temps de crise que nous traversons. Le cinéma ne saurait se réduire à l’usine à rêves, expression par laquelle on désignait quelque peu sommairement l’Hollywood d’autrefois. Il se doit de prendre aussi, en quelque sorte, le pouls du monde et de nous confronter, nous spectateurs, aux parcours compliqués d’un jeune délinquant (dans « La Tête haute ») ou d’un chômeur de longue durée (dans « La Loi du Marché »), par exemple. Cela étant dit, il n’y a pas de raison de bouder son plaisir quand paraît sur les écrans un film qui nous fait complétement oublier, le temps qu’il dure, tous les tracas et tous les soucis du monde, surtout quand ce film est aussi finement réalisé et interprété que ce « Comme un Avion » de Bruno Podalydès. C’est un chef d’oeuvre de poésie et de drôlerie qui nous est offert en l’occurrence et qu’on aurait bien tort de mépriser ! Voulez-vous chasser votre morosité et vous débarrasser de vos idées noires (si vous en avez), allez donc voir ce film-là et vous en sortirez ragaillardis et savourant sans compter le plaisir de vivre !

Est-ce parce que le réalisateur s’est, pour une fois, attribué à lui-même le rôle principal de son film, jamais en tout cas Bruno Podalydès (qui nous a cependant déjà régalés d’oeuvres alléchantes) ne s’est approché d’aussi près de la perfection de son art. Le voilà interprétant un infographiste qui cherche à illustrer une fugue de Bach. Mais c’est une autre fugue qu’il est amené non pas à illustrer mais à vivre et non pas sur un ruisseau mais sur une rivière ! Lui qui se passionne pour l’épopée de l’aéropostale au point qu’il collectionne tout ce qui s’y rapporte, c’est à la faveur d’une recherche sur les palindromes qu’il lui vient l’idée d’effectuer sa fugue en kayak ! Laissant sa femme (Sandrine Kiberlain) compréhensive et presque complice, son travail et toutes ses relations, il s’accorde, muni de son matériel de camping et de son indispensable manuel des castors juniors (!) une gentille escapade dans son avion sans ailes (et au son de la fameuse chanson de Charlélie Couture).

Ce périple émerveillé (aux accents parfois quasi franciscains, tant il y a de reconnaissance et pour la nature et pour les êtres et même pour les objets!), émaillé de petits incidents, conduit notre Ulysse vers sa tentatrice, en l’occurrence une patronne de guinguette (Agnès Jaoui) très accueillante. Ce lieu magique, habité également par une serveuse (Vimala Pons) que la pluie fait pleurer et par de doux dingues très excentriques, notre voyageur a bien du mal à le quitter et, lorsqu’il s’y résout, c’est pour y revenir irrésistiblement. Comment se défaire d’un endroit aussi enchanteur, comment abandonner la Circé qui y réside et qui s’ingénie à le guider jusqu’à elle au moyen d’un délicieux jeu de pistes ?

Pleine d’humour subtil et de superbes échappées poétiques, mâtinée d’un soupçon de mélancolie, la balade enchanteresse se savoure au son des chansons non seulement de Charlélie Couture, mais de Bashung et Georges Moustaki (« Donne du rhum à ton homme » et « Le temps de vivre »). C’est peut-être cette dernière chanson qui dit le mieux la revigorante parenthèse que s’offre le héros (si l’on peut dire) de ce film. Le temps de vivre, de rendre grâce, de jouer, de chanter, d’aimer… Le temps de faire un bien fou aux spectateurs aussi, car il y a bien longtemps que, pour ce qui me concerne en tout cas, un film ne m’avait pas autant fait rire et ne m’avait autant rendu heureux !

Note: 9/10

Luc Schweitzer, sscc