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DANS LES FORÊTS DE SIBÉRIE

un film de Safy Nebbou.

« L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant ». Cette célèbre « pensée » de Pascal pourrait fort bien servir d’exergue à ce film librement adapté d’un récit de Sylvain Tesson, tant il est question ici à la fois de la petitesse et de la grandeur de l’homme. En s’isolant complètement des bruits du monde au point de vivre dans une cabane construite sur les rives du lac Baïkal, que cherche Teddy (Raphaël Personnaz) sinon un supplément de vie et le sentiment d’une liberté retrouvée ? L’homme qui lui vend son abri n’en revient pas : « Tout le monde veut aller en Europe et toi, tu viens ici ? », s’étonne-t-il. Mais Teddy n’en démord pas : il veut vivre là, dans un isolement total.

Commencent alors non seulement ses joies mais ses combats. Passer l’hiver dans la taïga, dans une nature certes grandiose mais hostile, cela ressemble à de la folie. Glisser sur le lac gelé ou en percer l’épaisseur de glace pour s’y baigner, ce sont de vrais plaisirs, on veut bien le croire. Mais se faire surprendre par un ours ou par une tempête de neige, ce sont des dangers qui peuvent coûter cher. Dans cet environnement-là, le moindre faux pas peut être fatal, la moindre erreur de jugement peut entraîner la mort. Petitesse d’un homme qui n’est qu’un point minuscule perdu dans une nature qui n’a que faire de sa présence.

Mais grandeur de l’homme qui n’a pas oublié d’emmener dans ses bagages quelques livres de chevet. Grandeur de l’homme qui, dans l’adversité, se bat pour sa survie. Grandeur de l’homme qui, même dans cette terre isolée du bout du monde, finit par trouver son semblable. On a presque le sentiment de découvrir une nouvelle version des aventures de Robinson Crusoé. En fait d’éloignement, les rives du lac Baïkal valent bien l’île déserte de ce dernier. Quant à se trouver un compagnon inattendu, c’est également ce qui advient à Teddy en la personne d’Aleksei, un homme qui, après l’avoir sauvé d’une mort certaine, se présente à lui comme un braconnier.

Débute alors la partie la plus passionnante du film, celle qui culmine dans une scène qui, à elle seule, irradie de sa force tout le long-métrage, en en révélant toute la singulière beauté. Malgré tout ce qui les oppose, malgré la barrière de la langue, entre Teddy et Aleksei, naît et grandit une amitié indéfectible (qui fait irrésistiblement songer à celle qui unissait un officier russe et un autochtone sibérien dans « Dersou Ouzala » (1976), le film d’Akira Kurosawa).

Dans le film de Safy Nebbou, l’amitié de Teddy et d’Aleksei se révèle pleinement et se scelle dans une scène de survie : enfouis au fond d’un trou pour se protéger d’une tempête de neige, le prétendu braconnier, après avoir prononcé une prière à la manière orthodoxe, se livre à son compagnon en lui faisant sa confession. La vérité, c’est qu’il vit depuis douze ans dans la taïga afin d’échapper à la justice : l’homme est un criminel en cavale et il a la prétention de vivre encore trois ans dans l’isolement, c’est-à-dire jusqu’à ce que son affaire soit prescrite. « Tu as tué un homme, mais tu en as sauvé un autre », lui répond Teddy (qui lui doit la vie et qui, lui aussi, se livre à une véritable confession un peu plus tard).

Dès lors, après cette scène qui a la puissance et la beauté d’un sacrement, Aleksei a beau lui dire qu’il ferait mieux de s’en retourner chez lui, Teddy ne peut se résoudre à abandonner son compagnon et ami. Une amitié comme celle qui le lie à cet homme, à ce reclus en pleine nature, cela ne peut s’achever que par obligation…

On pardonnera volontiers au réalisateur et à son scénariste de n’avoir pas su ou pu éviter les scènes « à faire » dans ce genre de film (celle de l’ours par exemple), tellement il y a de beauté dans l’histoire d’amitié qui unit ces deux hommes que rien ne destinait à se rencontrer. 

NOTE:  8/10

Luc Schweitzer, sscc