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INVASION

Un film de Kiyoshi Kurosawa.

 

« Que ferais-tu si c’était bientôt la fin du monde ? » A cette question qui lui est posée par son mari Tetsuo, Etsuko, une ouvrière du textile, apporte le même genre de réponse que celle qu’on prête à saint Dominique Savio : « Rien, probablement, répond-elle. Je continuerai simplement à vivre. » Cependant, dans le film du prolifique cinéaste japonais Kiyoshi Kurosawa, si la question est formulée, c’est parce qu’une menace réelle pèse sur l’humanité et pourrait la détruire. L’invasion, qui donne son titre au film, n’est rien moins que celle d’extra-terrestres qui, avant de prendre possession de notre globe, se sont infiltrés sur terre en se camouflant sous des apparences humaines.

Le même sujet avait déjà été traité par Kurosawa l’an dernier dans un film intitulé « Avant que nous disparaissions », mais d’une manière plus fantaisiste. Dans « Invasion », le cinéaste ose le pari de la sobriété, de l’épure, du dépouillement le plus radical possible. Pas ou quasiment pas d’effets spéciaux à grand tapage. Toute l’angoisse générée par le film repose sur le jeu des acteurs, sur des signes inquiétants, des bruits soudains, des murs qui se mettent à trembler, des coups de vent, des courants électriques qui semblent se transmettre dans des poignées de main, des corps qui s’écroulent sur le sol et une bande-son rigoureusement et excellemment conçue (tant du point de vue des bruitages que de celui de la musique). Cela suffit à fabriquer des séquences de frayeur quasi palpable et à la communiquer irrésistiblement aux spectateurs.

Cette manière de faire me convient totalement (le seul bémol étant, à mon avis, la longueur excessive du film), je la préfère de loin aux débauches d’effets spéciaux qui encombrent tant d’autres films. Mais à cela s’ajoutent des subtilités de scénario tout à fait intéressantes et séduisantes. En voyant le film de Kurosawa, je songeais, par moments, à « Rhinocéros », la pièce fameuse de Ionesco dans laquelle un des personnages parvient à résister à la déshumanisation qui s’empare de tous les autres. Il y a quelque chose du même ordre dans « Invasion », dans la mesure où les extra-terrestres ayant pris des apparences humaines ont pour but de voler aux humains leurs concepts et, donc, de les priver d’une part d’eux-mêmes (autrement dit de les déshumaniser) et de les détruire (ce qui donne lieu aux scènes les plus impressionnantes du film, celle où les humains s’écroulent par terre). Seule Etsuko parvient à résister à l’emprise des extra-terrestres qui ne réussissent à l’amputer d’aucun de ses concepts. Mais ce que suggère le film est encore plus intéressant et plus beau qu’une simple opposition dont on ne connaîtrait pas la cause. Ce qu’indique le film, c’est que c’est l’amour qui sauve Etsuko, le seul concept dont ne peuvent s’emparer les extra-terrestres. Parce que précisément il s’agit de bien davantage que d’un concept. L’amour est vivant, il est incarné, il est fort et il peut même être combatif. Et il rend libre, même quand l’oppresseur vient d’ailleurs et est doté de pouvoirs extraordinaires.

NOTE:  7,5/10

Luc Schweitzer, ss.cc.