aucun commentaire pour l'instant

JAMAIS CONTENTE

un film de Emilie Deleuze.

S’étonner, s’émerveiller, se laisser surprendre : le cinéma sinon le meilleur en tout cas le plus attachant ne se trouve pas forcément là où on le pressentait. Une fois encore, c’est un film dont je n’espérais pas grand chose sauf un peu de détente qui, en fin de compte, me séduit. Adapté d’un roman pour la jeunesse de Marie Desplechin (« Le Journal d’Aurore ») et excellemment réalisé par Emilie Deleuze (qui n’est autre que la fille du philosophe Gilles Deleuze), ce film sur une pré-adolescente de 13 ans m’a irrésistiblement conquis dès les premières scènes et m’a charmé tout au long.

Bien sûr, Aurore (formidablement jouée par Léna Magnien), sur bien des points, ressemble à la plupart des adolescentes de son âge : elle se trouve moche, se demande si elle ne ferait pas mieux d’être enfermée en haut d’une armoire pour n’être sortie qu’une fois par an, déteste tout le monde ou presque, à commencer par ses parents et ses deux sœurs, et se demande avec angoisse si elle pourra un jour aimer un garçon. Néanmoins la réalisatrice a su habilement ne pas s’empêtrer dans les clichés sur l’adolescence. Si Aurore partage quelques caractéristiques avec un grand nombre de jeunes filles de son âge, elle n’en reste pas moins singulière, elle ne représente pas à elle seule l’Adolescence avec un grand A, mais elle est simplement une adolescente parmi d’autres.

La mise en scène souligne cette singularité en insistant sur la dimension relationnelle. Ce qui fait qu’Aurore ne peut nullement être confondue avec qui que ce soit d’autre, c’est son jeu de relations, les personnes à qui elle a affaire et le regard que celles-ci portent sur elle. J’ai déjà mentionné les parents et les sœurs, mais il convient d’ajouter la grand-mère (la personne de sa famille à qui l’adolescente peut se confier, car si Aurore adopte volontiers le ton bougon, voire méchant, lorsqu’elle parle, elle est aussi une adolescente avide d’être conseillée et rassurée).

Ayant redoublé sa 5ème, elle a également affaire, bien évidemment à des professeurs : une sorte de ronde les met brillamment en scène en pleine classe, récitant leurs enseignements comme on enfilerait des perles ! Parmi ceux-ci se détache le professeur de français (Alex Lutz), un rempaçant qui s’empresse de faire lire à ses élèves l’incontournable et inénarrable « Princesse de Clèves » et d’interroger Aurore. Ce professeur n’en est pas moins plutôt bien inspiré, allant jusqu’à conseiller à la jeune Aurore la lecture du poète Francis Ponge, ce dont elle saura tirer bénéfice.

Et, bien sûr, on ne saurait oublier les autres adolescents : ceux de son âge, mais aussi un groupe de trois garçons un peu plus âgés dont l’un d’eux lui propose d’intégrer leur groupe de rock pour en être la chanteuse. Difficile de monter sur scène et de s’exposer au regard de tous quand on a 13 ans, mais qui sait si ce n’est pas précisément ce lieu et cette audace qui engendreront un peu d’épanouissement chez la jeune Aurore ? La superbe scène finale nous la montre, en tout cas, comme transformée, subitement mûrie, ayant passé le cap de ses dégoûts de pré-adolescente.

Ce film qui, peut-être, sera qualifié par certains de petit ou d’anodin, n’en est pas moins, à mes yeux, la bonne surprise de ce début d’année 2017. Pas une seule des scènes qui le composent ne m’a semblé banale et il en est même plus d’une qui m’ont amusé, intrigué, interpellé. Ainsi quand Aurore, à l’approche de Noël, au grand étonnement de son père qui précise qu’il est sans religion, se met à fabriquer une crèche et à réclamer un « petit Jésus ». Ou encore lorsque la grande sœur d’Aurore annonce qu’elle veut se marier avec un Russe, à l’église et selon le rite orthodoxe ! Autant de scènes qui, si elles ne sondent pas les mystères à la façon des philosophes (ou des théologiens) n’en sont pas moins à la fois judicieuses et savoureuses. Comme l’est d’ailleurs tout le film !

NOTE:  8/10