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JOSEP

Un film de Aurel.

 

J’avais une douzaine d’années quand je lus un ouvrage écrit par un des membres de la communauté religieuse des Assomptionnistes ayant la charge du collège privé de Scy-Chazelles (Moselle) dans lequel j’étais scolarisé. Dans ce livre, écrit en 1958 et intitulé ironiquement Onze ans au paradis, Jean Nicolas (1901-1984) relatait son séjour forcé en ex-Union Soviétique. Envoyé comme missionnaire à Odessa en 1943, il fut arrêté en 1945 et condamné à huit ans de travaux forcés qu’il passa, en grande partie, dans les goulags de Sibérie. Son livre, considéré comme l’un des premiers témoignages sur les camps de la mort en URSS, mériterait amplement d’être réédité. Mais si je l’évoque dans cet article, c’est parce que le religieux y racontait comment sa passion pour le dessin et la peinture l’avait aidé à survivre à des conditions de vie très éprouvantes. Sans cela, sans ce don, il n’en serait peut-être pas sorti vivant.

Ce même engouement pour le dessin, nous le retrouvons au cœur de l’histoire que met en scène Aurel (de son vrai nom Aurélien Froment), dessinateur de presse pour Le Monde et Le Canard enchaîné à qui l’on doit déjà une vingtaine de livres graphiques. Dans Josep, il nous raconte, lui aussi, l’histoire vraie d’un homme interné contre son gré, que sa prédisposition pour le dessin aide à tenir bon au milieu des pires épreuves. Cette fois, cependant, l’action ne se situe ni en Sibérie ni dans un quelconque pays lointain, mais chez nous, en France, du côté de Rivesaltes et autres lieux, où furent parqués comme du bétail, à partir de février 1939, les Républicains espagnols, communistes, trotskistes, anarchistes, ayant fui le régime de Franco.

Cette page d’histoire, nous, Français, nous la connaissons bien mal ; nos livres d’histoire ne s’en encombrent pas, sans doute parce qu’elle n’a rien de glorieux pour notre patrie. Parmi les Espagnols détenus, affamés, humiliés, qui passèrent par ce calvaire, s’ils n’y laissèrent pas leur peau, Aurel et son scénariste ont choisi judicieusement l’un d’eux, Josep Bartoli (1910-1995), un homme dont la destinée étonnante s’accorde bien avec le genre du film d’animation.

Le scénariste, Jean-Louis Milesi, a su, de son côté, introduire une astucieuse touche de fiction à ce sujet, mettant l’histoire de Josep dans la bouche d’un vieillard presque mourant la narrant à son petit-fils. L’identité de ce vieillard, qui joue un rôle dans le devenir des personnages, c’est l’une des surprises du film (que, bien sûr, je ne révélerai pas). En tout cas, scénariste et dessinateur font preuve de beaucoup d’inventivité pour évoquer non seulement les conditions de vie les plus précaires mais aussi le traitement humiliant, indigne, insupportable, infligé aux prisonniers par certains gendarmes. Je dis « certains », car, fort heureusement, le film se garde du manichéisme. Et s’il est des gendarmes qui firent preuve d’un racisme éhonté, d’autres s’efforcèrent de secourir, dans la mesure où ils le pouvaient, les opprimés. Parmi les gardiens, on comptait d’ailleurs quelques tirailleurs sénégalais, eux aussi copieusement insultés par des gendarmes ne ratant pas une occasion d’exprimer leur xénophobie.

Chez les détenus du camp aussi, les différences se firent parfois sentir, allant, dans certains cas, jusqu’à se changer en hostilité : pas si facile de s’entendre entre communistes, trotskistes et anarchistes. Mais quand un envoyé du gouvernement franquiste, accompagné d’un prêtre aux paroles dégoulinantes d’hypocrisie, fut envoyé au camp afin de les convaincre de revenir en Espagne où, soi-disant, ils seraient traités avec mansuétude, quelle que fut leur orientation politique, plus d’un ne fut pas assez niais pour tomber dans ce piège. La trajectoire de Josep, en tout cas, finit par le conduire hors du camp, jusqu’au Mexique où il rencontra une artiste aimant, comme lui, dessiner et peindre, une artiste dont il avait rêvé quand il était interné en France. Son nom était Frida Kahlo (1907-1954).

Ce film où il est question non seulement d’oppression et d’humiliations, mais aussi d’espoir, de résistance, de courage et d’amitié, peut paraître sommaire du point de vue de l’animation. Cela importe peu, en vérité, car l’art d’Aurel s’accorde à merveille avec le récit. Les dessins sont magnifiques et, parfois, se confondent ou se superposent avec les œuvres de Josep lui-même. Josep qui, pendant son séjour dans le camp, dessina, entre autres, le visage de sa bien-aimée dont il avait dû se séparer par la force des choses, mais qu’il n’avait de cesse de retrouver.

Plusieurs survivants du camp de Rivesaltes ont pu assister à une projection de ce film d’Aurel et ont exprimé leur émotion « de revoir leur expérience sous forme dessinée ». Cette émotion, qui que nous soyons, je gage que nous n’aurons pas de peine à la faire nôtre.

8,5/10

Luc Schweitzer, ss.cc.

 

http://https://www.youtube.com/watch?v=CPqIxjK9E-o