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JULIETA

un film de Pedro Almodóvar.

Oublions l’insupportable comédie réalisée par Pedro Almodóvar en 2013 (« Les Amants passagers ») et réjouissons-nous de le voir renouer aujourd’hui avec ce qui lui convient le mieux : le portrait de femme raconté en mode mélodramatique (et même, en l’occurrence, tragique). Il y a pourtant matière à étonnement à propos de ce nouveau film, non pas à cause du sujet qu’aborde le cinéaste espagnol, mais à cause de sa source d’inspiration. En choisissant d’adapter trois nouvelles de la canadienne Alice Munro (prix Nobel de Littérature 2013), le moins qu’on puisse dire, c’est que le réalisateur espagnol a cherché loin de chez lui, loin de l’environnement qui lui est familier, de quoi nourrir son scénario. Et pourtant, comme on dit vulgairement, ça marche ! Les histoires imaginées par l’auteure canadienne, soigneusement hispanisées par Almodóvar, non seulement n’ont rien d’incongru mais se teintent subtilement des colorations typiquement méditerranéennes les plus persuasives.

Même si bien d’autres femmes interviennent et prennent place au cours du film, le portrait de femme auquel s’attache le réalisateur, c’est d’abord et avant tout celui de celle qui lui donne son titre : Julieta. C’est elle qui raconte, c’est elle qui écrit, narrant à sa fille Antia, 13 ans après avoir perdu tout contact avec elle, le destin tragique de sa vie. D’abord campé par l’actrice Emma Suárez, le rôle de Julieta est confié à une autre actrice (Adriana Ugarte) lorsque le film bascule dans le flashback.

Les faits s’enchaînent alors à la façon des tragédies grecques, prenant leur départ au fil de superbes scènes filmées dans un train (scènes qui, irrésistiblement, rappellent certaines œuvres fameuses d’Alfred Hitchcock). Est-ce à cause d’un mystérieux passager qui se suicide ou à cause d’un cerf qui semble être à la poursuite du train ? C’est en tout cas à son bord que, par un concours de circonstances ou par le jeu de la destinée, se rencontrent et s’aiment Julieta et Xoan (Daniel Grao). Et c’est de leur union que naît Antia.

Mais reste à raconter par quels coups du sort cette dernière finit par rompre tous les liens avec sa mère. Par quels enchaînements Antia en arrive-t-elle à cette extrémité ? Que s’est-il passé dans la maison de Galice où Xoan exerce son métier de marin-pêcheur ? Et quel rôle joue Marian (Rossy de Palma), la gouvernante et gardienne de la maison de Galice, qui semble, elle aussi, s’être échappée d’un film de Hitchcock (« Rebecca » – 1940) tout en ayant des allures de pythie dégoisant ses mauvais augures ? Sans compter les autres personnages, comme Ava, l’amie sculptrice de Xoan, et Beatriz, l’amie d’enfance d’Antia, qui, chacun, nourrit à sa façon le cours de la tragédie.

Pedro Almodóvar, dont les films sont volontiers marqués du sceau de l’exubérance, n’a peut-être jamais usé d’un style aussi dépouillé que pour conter l’histoire de Julieta. Il le fallait, probablement, pour faire percevoir aux spectateurs tout le poids de culpabilité qui pèse à la fois sur la mère (Julieta) et sur la fille (Antia) et qui les sépare l’une de l’autre pour des années. C’est comme un poison qui envenime le cœur et qui se transmet de l’une à l’autre. Cela étant dit, le film n’a rien d’ascétique. Si le jeu des actrices est empreint de sobriété, l’action, elle, se déroule dans une grande diversité de sites et donne à l’oeuvre une ample palette de tons et de couleurs : scènes d’allure onirique dans le train, scènes citadines tournées à Madrid, scènes maritimes de Galice, scènes andalouses, scènes pyrénéennes… Le film passionne et fascine par tous ses aspects. Et l’on n’est pas près d’oublier le personnage qui donne son titre au film : Julieta qui, semblable à Ulysse ensorcelé par Calypso, a laissé passer tant d’années en enfouissant au fond d’elle la douleur d’avoir perdu sa fille. 

NOTE:  8,5/10

Luc Schweitzer, sscc.