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LA TORTUE ROUGE

un film de Michael Dudok de Wit.

S’il ne s’agissait que de noter la forme, je mettrais sans hésiter un 10/10 à ce film d’animation somptueux. On n’est pas surpris d’apprendre que le studio Ghibli (celui des maîtres japonais Hayao Miyazaki et Isao Takahata) a accueilli et soutenu ce projet de longue haleine, pourtant écrit et réalisé par un néerlandais. Même si les styles diffèrent quelque peu, le soin apporté aux dessins, aux couleurs, aux techniques d’animation et les méthodes employées rappellent indéniablement les chefs-d’oeuvre des Japonais. « La Tortue rouge » est un enchantement pour les yeux, comme l’ont été « Le Voyage de Chihiro » ou « Le Conte de la Princesse Kaguya » par exemple.

Cela étant dit, je me vois contraint d’ajouter que, pour ce qui concerne le fond, ce film de Michael Dudok de Wit me laisse perplexe. Car, aussi satisfaisant soit-il pour le regard, il est question d’un récit, et d’un récit que je me trouve bien en peine d’interpréter d’une manière acceptable. Et cela d’autant plus que le film est totalement dénué de parole, les seuls bruits émis par la gorge des personnages étant des cris. Rien de plus.

Il faut donc se contenter de ce qu’on voit, de ce qui se déroule sous les yeux, c’est-à-dire d’une histoire de naufragé, la scène introductive, étonnante et sublime, montrant un homme aux prises avec l’océan déchaîné et échouant sur une île déserte. L’individu essaie très vite de s’en échapper à l’aide de radeaux, mais chacune de ses tentatives se solde par un échec : chaque embarcation de fortune est systématiquement détruite par une force venue du fond de l’océan. C’est comme si l’île voulait le retenir de force… à moins que ce ne soit l’animal qui donne son titre au film et qui apparaît enfin sous les yeux effarés de l’homme.

La suite s’oriente vers quelque chose de fabuleux, voire de mythique, et de simple en même temps. Des entrailles de l’animal naît une femme et de cette femme ne tardera pas à naître un enfant. L’homme ne songe plus à quitter l’île, il s’y trouve en communion avec la nature et avec le cosmos. Il semble apaisé, heureux, acceptant sa vie et même sa mort. Quant à celle qui est venue le rejoindre, une fois sa mission accomplie, elle retourne à son état d’origine. La boucle est bouclée.

On peut, bien sûr, se contenter d’être émerveillé par cette histoire à la fois simple et fabuleuse et par la splendeur des images. Pour ce qui me concerne, je n’ai pas pu m’empêcher de lui chercher des significations et je me suis trouvé très en peine. Ce qui vient spontanément à l’esprit, c’est-à-dire de comparer ce récit avec « Robinson Crusoë », s’avère rapidement peu pertinent. Il faut chercher d’autres voies, puiser dans d’autres références.

Mais lesquelles ? A-t-on affaire à une fable d’inspiration rousseauiste ? Plus le temps passe pour le naufragé, plus il semble se rapprocher de l’état de nature et ne plus être assujetti aux contraintes morales. S’agit-il d’un récit panthéiste ? Dans ce film, les humains apparaissent en parfaite symbiose non seulement avec les autres êtres vivants, mais avec le cosmos tout entier, sans qu’il soit jamais fait mention, cela dit, d’un quelconque désir d’absolu, d’une quelconque aspiration au divin. Ou encore s’agit-il d’une sorte de variation sur le mythe des origines, voire sur le récit biblique d’Adam et Eve ? Nonobstant une impressionnante scène de tsunami, on peut avoir le sentiment que l’homme et la femme qui lui est donnée vivent dans le jardin d’Eden. Mais un jardin sans rien d’interdit, et donc sans chute possible, sans faute ni péché. Comme s’il n’y avait plus d’autre horizon que l’innocence et la pureté, la mort elle-même apparaissant comme quelque chose de simple et de paisible.

Etrange film, par conséquent. Je ne sais que choisir parmi toutes les lectures et interprétations possibles d’une telle histoire. Autant cette œuvre m’a enchanté par sa beauté plastique, autant elle me laisse dubitatif quant à sa signification.

NOTE:  8/10

Luc Schweitzer, sscc.