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L’AMI, FRANÇOIS D’ASSISE ET SES FRÈRES

un film de Renaud Fély et Arnaud Louvet.

Qu’on ne s’attende pas, si l’on a la curiosité d’aller voir ce film, à un biopic sur saint François comme ont osé les faire un Michael Curtiz en 1961 ou un Franco Zeffirelli (cinéaste toujours calamiteux) en 1972. Qu’on ne s’attende pas non plus à un florilège de fioretti, comme le fit, avec génie, Roberto Rossellini en 1950. Renaud Fély et Arnaud Louvet se sont contentés de mettre en scène une période bien précise de l’histoire du saint d’Assise, celle où, le groupe des frères ayant tout quitté pour suivre François s’étant considérablement étoffé, il devient nécessaire de faire approuver l’Ordre par le pape Innocent III, ce qui suppose, au préalable, de lui soumettre une règle.

C’est là que le bât blesse car, de la première règle, écrite par François, qui lui est proposée, le pape non seulement ne veut pas mais il la rejette avec des mots très durs. Ni la pauvreté radicale prônée par le Poverello, ni l’acceptation d’une éventuelle désobéissance (François soutenant, dans sa règle, la primauté de la conscience, plus forte, selon lui, que la voix d’un supérieur, quel qu’il soit), ni même les nombreuses citations des évangiles ne sont tolérées par le successeur de Pierre. François est renvoyé avec l’injonction de revoir sa copie, sans quoi lui et ses frères pourraient être considérés comme hérétiques !

C’est alors qu’intervient Elie de Cortone, frère Elie (Jérémie Rénier), venu rejoindre le groupe des compagnons de François. C’est un personnage qui demeure mystérieux, énigmatique, que ce frère Elie, si j’en crois les pages que Julien Green lui consacre dans sa superbe biographie du saint d’Assise (« Frère François », éditions du Seuil, 1983) : l’homme est animé, à la fois, par un amour sincère et profond de celui qu’il a rejoint, François, et par des désirs de gloire qui sont en totale contradiction avec l’esprit voulu par le saint pour ceux qu’on appellera les franciscains.

Le film se base sur l’opposition entre les deux hommes : l’un (François) voulant à tout prix que l’on reste fidèle à son intuition première, l’autre (Elie) prêt à recourir aux compromis, aux arrangements et aux adoucissements pour que l’Ordre des frères mineurs soit enfin reconnu par l’autorité de l’Eglise. D’un côté l’idéal, de l’autre le pragmatisme. Tout l’intérêt du film repose sur ce heurt. La règle de François ne sera approuvée par le pape que si elle est amendée par Elie. Pour François, cela reste inacceptable. « Elie, tu te damnes », aurait même dit François, si l’on en croit l’ouvrage de Julien Green (p. 288). Dans le film, les paroles de François sont différentes tout en ayant à peu près la même signification : « Ton cœur est devenu froid. Tu n’es plus avec Dieu. » Quant aux autres frères, le film laisse bien percevoir que se diffusent en eux des germes de division. Elie en séduit certains tandis que d’autres ne jurent que par l’idéal prôné par François. Même sur la question de la pauvreté, l’on n’est pas d’accord : faut-il aimer la pauvreté pour elle-même ou faut-il aimer les pauvres tout en les aidant à sortir de leur pauvreté ?

On peut regretter que le film n’approfondisse pas davantage les questions qu’il aborde, mais il a le mérite de les poser d’une façon judicieuse. Il invite à la réflexion, et c’est déjà beaucoup. Son plus gros défaut, à mon avis, il le doit au jeu assez peu convaincant de l’acteur qui interprète le rôle de François (Elio Germano), un acteur qui a une fâcheuse propension à surjouer son personnage. Par contre, Jérémie Rénier, dans le rôle de frère Elie, m’a semblé parfait. 

NOTE:  7,5/10

Luc Schweitzer