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LE DISCIPLE

un film de Kirill Serebrennikov.

Un grand adolescent qui reste à la maison au lieu de rejoindre ses camarades de classe à la piscine puis qui, contraint de s’y rendre, fulmine contre l’indécence des filles qui s’y exposent en bikini ! A qui a-t-on affaire ? A un extrémiste musulman ? Pas du tout ! Nous sommes dans la Russie d’aujourd’hui, le garçon a pour prénom Veniamin (Petr Skvortsov) et il ne rate pas une occasion d’affirmer qu’il est chrétien ! Le metteur en scène de théâtre Kirill Serebrennikov, honni par les autorités russes à cause de ses prises de position avant-gardistes et de sa défense des minorités, passe aujourd’hui derrière la caméra pour nous brosser le portrait d’un fanatique religieux de son pays. Et n’imaginons pas que ce jeune homme soit un cas ou une rareté : « le problème, prévient le réalisateur dans une interview, c’est que des Veniamin, il y en a, désormais, des flopées, des hordes… ».

L’adolescent, tel qu’il se présente dans le film, paraît pourtant très isolé, mais c’est sans doute parce qu’il se refuse à faire partie d’une communauté, quelle qu’elle soit, et parce qu’il s’oppose à tout le monde. On n’a affaire ni à un garçon obtus ni à un nigaud, bien au contraire, on le devine malin, rusé, capable d’apprendre par cœur des dizaines et des dizaines de versets de la Bible et de les réciter en fonction des circonstances. Mais cet intégriste est si convaincu d’être dans la vérité et il est si enfermé dans ses convictions religieuses qu’il ne ressent plus que du mépris pour tous ceux qui sont différents de lui.

Tout est suspect à ses yeux et chacun de ceux qu’il côtoie lui semble dévoyé : les filles à cause de leur prétendue impudicité et parce qu’elles apparaissent comme des tentatrices, les homosexuels parce qu’ils s’adonnent à ce qu’il considère comme un vice abominable, les prêtres orthodoxes parce qu’ils ne songent qu’à s’enrichir et transmettent une religion de pardon, les professeurs parce que leurs enseignements ne s’accordent pas avec la Bible. Même sa mère ne trouve pas grâce à ses yeux à cause de son divorce. Pour accréditer la condamnation de tout ce monde, il suffit à Veniamin de puiser dans le catalogue de citations bibliques qu’il a apprises et qu’il se fait un plaisir d’assener (et dont le réalisateur indique chacune des références sur l’écran). L’adolescent fait ce que font tous les intégristes, tous les fondamentalistes religieux, tous les fanatiques : il utilise les textes, il en isole soigneusement les passages qui servent ses intérêts et semblent conforter ses convictions et les martèle à la figure de ses « ennemis ». Les textes bibliques, tels qu’il les énonce, ne sont plus rien d’autre que des instruments sélectionnés et mis au service de sa haine des autres.

Celle contre qui il s’oppose le plus brutalement, c’est sa professeure de biologie car son enseignement darwinien le révulse au plus haut point. Et l’affrontement entre les deux personnages donne lieu à des scènes atterrantes, voire effrayantes, et qui mettent aussi en lumière les peurs et les lâchetés de la directrice de l’établissement scolaire et des autres professeurs.

En fait, ce que montre parfaitement la mise en scène efficace de Kirill Serebrennikov, c’est que la folie de l’adolescent est telle que tout dialogue avec lui semble impossible. La professeure de biologie s’y prend très mal en essayant de le contredire sur son propre terrain, c’est-à-dire en cherchant à son tour à argumenter à coups de citations bibliques. La mère de Veniamin, de son côté, s’efforce d’établir un dialogue avec son fils mais sans jamais vraiment y parvenir. Le garçon s’est enfermé dans sa terrfiante solitude, il n’a personne à qui parler en vérité, si ce n’est, peut-être, le seul camarade de sa classe avec qui il noue une sorte d’amitié, un infirme qu’il cherche à entraîner dans son sillage et à qui il fait des promesses insensées.

En réalité, en focalisant sa caméra sur ce personnage rempli non seulement de la haine des autres mais aussi de lui-même (car, on le comprend à la fin du film, il ne s’accepte pas tel qu’il est), le metteur en scène révèle avec habileté les mensonges et les bassesses qui gangrènent son pays. Il n’y a pas besoin de grand chose pour qu’apparaissent sur les visages des uns et des autres les affligeants rictus qui accompagnent les propos homophobes ou les insinuations hideusement antisémites. Ce film « coup de poing » nous interpelle vivement, qui que nous soyons, quel que soit notre pays, Russie, Etats-Unis, France, à l’heure où se répandent de plus en plus les tentations intégristes, les replis identitaires et les professions de foi réactionnaires. Même quelqu’un qui se réclame du Christ et ne cesse de citer la Bible peut prêcher une religion de violence et de haine, plutôt que d’amour et de pardon. A nous de réagir, à nous de montrer à tous ce qu’est le vrai visage d’un disciple du Christ !

NOTE:  8/10

Luc Schweitzer, sscc.