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LE SOMMET DES DIEUX

Un film de Patrick Imbert.

 

 

Pendant longtemps, nous explique une voix off au cours de ce film, le but que se fixaient les alpinistes, c’était de gravir des sommets de plus en plus élevés. Aller de plus en plus haut. Une fois ce but atteint, c’est-à-dire une fois vaincu l’Everest, le plus haut des sommets de la planète, est-ce à dire que, pour les alpinistes, tout était achevé et que, désormais, les ascensions ne seraient plus que presque routinières ? Il n’en est rien, on le sait bien, car, pour les passionnés d’alpinisme, il y a toujours moyen de relever de nouveaux défis en prenant des risques toujours plus grands. Plus d’un y a laissé sa vie. Alors, se demande-t-on, pourquoi ? Pourquoi chercher constamment à battre de nouveaux records, à s’aventurer sur de nouveau tracés réputés impossibles et dans des conditions des plus périlleuses, en choisissant, par exemple, d’escalader une paroi et de parvenir à un sommet en hiver plutôt qu’en été et en empruntant la voie la plus impraticable et, qui plus est, sans oxygène ? Pourquoi se trouve-t-il toujours des individus pour affronter de tels dangers ?

Ces questions, le film les pose mais, bien sûr, en se gardant d’apporter des réponses. Tout simplement parce qu’il n’y en a pas. Quoi qu’on fasse, il se trouvera toujours des hommes pour tenter l’impossible. Ce genre d’aventures a, bien sûr, déjà fait l’objet de films, mais jamais, à ma connaissance, sous la forme d’un film d’animation. Or, le résultat, en l’occurrence, s’avère totalement fascinant. L’animation permet des audaces dans la réalisation qui ne seraient peut-être pas envisageables en prises de vue réelles. On peut dire, en tout cas, que ce film de Patrick Imbert, adaptation d’un manga de Jirô Taniguchi et Baku Yumemakura, est, sans aucun doute, un des meilleurs films jamais réalisés sur la montagne. Réussite d’autant plus éclatante que le manga qui a servi de base au scénario comporte plus de mille pages, qu’il a donc fallu élaguer pour ne se concentrer que sur quelques personnages.

On peut en résumer l’histoire en disant qu’il est question, essentiellement, de deux personnes : le premier, du nom de Fukamachi, est un journaliste et reporter japonais, spécialisé dans les exploits des alpinistes ; le deuxième, du nom de Habu Jôji, est lui-même un alpiniste chevronné, réputé disparu depuis des années au moment où commence l’histoire. Or Fukamachi non seulement croit le reconnaître à Katmandu, mais semble le voir tenir entre ses mains un appareil photo recherché par tous ceux qui se passionnent pour l’histoire de l’alpinisme. Ce pourrait être, en effet, l’appareil qu’avaient emporté avec eux George Mallory et Andrew Irvine, les deux audacieux qui, dès juin 1924, avaient tenté l’ascension de l’Everest et n’en étaient jamais revenu. Et si l’appareil photo pouvait donner la preuve que ces deux-là avaient vaincu le toit du monde les premiers ! Pour en avoir le cœur net et détenir, qui sait, un scoop, Fukamachi se lance alors sur les traces de Habu, ce qui le conduit à des aventures qu’il n’imaginait pas.

Outre la question dont j’ai fait état au début de mon article, il en est une autre, une question morale et de survie, qui traverse également ce film splendide à tous points de vue. Cette question, c’est celle qui se pose aux alpinistes lorsqu’ils sont en duo et que l’un se trouve dans une difficulté si grande qu’elle risque de lui être fatale. Que peut faire alors son compagnon ? Essayer de sauver celui qui est en détresse avec la menace de périr soi-même avec lui ? Ou l’abandonner à son sort ? Entre la théorie et la pratique, sur un sujet comme celui-là, il peut y avoir une sacrée distance. Un jour où on débat de ce sujet, Habu intervient pour affirmer que, pour ce qui le concerne, si ce cas se présente, il le résoudra sans état d’âme. Mieux vaut qu’un seul périsse plutôt que tous les deux, non ? Mais que reste-t-il de cette déclaration le jour où il s’agit de résoudre la question non plus en théorie mais en pratique ?

Totalement captivant, très impressionnant, doté d’images sublimes et de grandes scènes d’animation, il ne faut pas hésiter à voir ce film : la montagne n’a peut-être jamais paru à la fois si terrible et si majestueuse.

8,5/10

 

Luc Schweitzer, ss.cc.