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L’ESPOIR MALGRÉ TOUT

Une série en bandes dessinées de Émile Bravo.

 

 

Durant mon enfance et, surtout, mon adolescence, avide de lectures de toutes sortes, je ne dédaignai nullement la bande dessinée, au contraire, persuadé d’avoir affaire à un art aussi noble que les autres, le neuvième, selon la classification en usage. Parmi mes personnages préférés, figuraient, en bonne place, ceux de Spirou et Fantasio, dont les albums, surtout ceux qui étaient signés du nom d’André Franquin, me ravissaient au point que je ne me lassais pas de les lire et les relire, avec toujours la même gourmandise. Néanmoins, les années passant, je me détachai de ce genre de lectures, pour en préférer d’autres, considérées comme plus nobles ou plus sérieuses. Je continuai cependant à entretenir ne serait-ce qu’un brin de curiosité pour les parutions nouvelles dans ce domaine de la BD, mais les personnages de Spirou et Fantasio, tels qu’ils apparaissaient dorénavant, sous la plume de plusieurs scénaristes et dessinateurs successifs, ne m’enthousiasmaient que très modérément, pour ne pas dire : pas du tout.

Or, incité par les avis très positifs d’une série d’articles qui sont parvenus sous mes yeux, je me suis décidé, ces temps-ci, à découvrir les dernières moutures en date des aventures de Spirou et Fantasio telles qu’elles sont dorénavant conçues par Émile Bravo et le moins que je puisse dire, c’est qu’on a affaire, indéniablement, à un sommet de toute l’œuvre consacrée à nos deux héros. Rien à voir, pourtant, avec les délicieuses fantasmagories qu’avait imaginées un André Franquin. Précisément, le coup de génie d’Émile Bravo, c’est d’avoir sorti les fameux personnages de leur univers de fantaisie pour les plonger dans une des réalités les plus redoutables et les plus complexes du XXème siècle, celle de la Deuxième Guerre mondiale, du côté de la Belgique occupée.

Après un premier album, en forme de prologue, intitulé Journal d’un ingénu, album dans lequel Émile Bravo se focalisait sur les origines du personnage de Spirou, de son habit de groom à son compagnonnage avec Spip l’écureuil en passant par l’amitié qui le lie à Fantasio, c’est dans une série d’albums en quatre parties (la quatrième et dernière vient de sortir) intitulée L’Espoir malgré tout, que l’auteur précipite ses personnages dans la période la plus trouble qui soit, celle des quatre années d’occupation nazie de la Belgique.

Pour garder à ce contexte historique toute sa complexité, pour ne pas le réduire à de simples clichés, pour en donner un aperçu aussi juste que possible, il était nécessaire d’étendre le récit sur une série d’albums. Ainsi fut fait, et de manière on ne peut plus remarquable. Nul doute, Émile Bravo s’est fortement documenté et est ainsi parvenu à transcrire en dialogues et en dessins le quotidien des Belges confrontés à la résolution de difficultés très « terre-à-terre ». Il s’agissait, d’abord et avant tout, pour eux, de trouver de quoi manger, par exemple.

Bien sûr, la terrible réalité de la guerre et des exactions commises par les nazis n’est pas ignorée par Émile Bravo. Au contraire, elle s’affirme de plus en plus au fil des albums, obligeant Spirou et Fantasio à se compromettre, à prendre des risques, à tenter de sauver des vies, tous deux ne réagissant d’ailleurs pas de la même manière, Fantasio se distinguant par sa fougue, ses imprudences, ses erreurs de jugement et ses audaces inconsidérées, alors que Spirou s’affirme de plus en plus comme un témoin résolu à tout faire pour sauver des vies, tout en prenant soin de conserver, en toutes circonstances, son humanisme. C’est précisément ce regard-là qui prévaut tout au long de cette série d’albums, celui d’un humanisme qui ose promouvoir le pacifisme, même en ces circonstances. Émile Bravo ne minimise aucunement les horreurs commises par les nazis ; au contraire, on les voit à l’œuvre, à plus d’une occasion, Spirou et Fantasio s’efforçant même de trouver des moyens de libérer des déportés emprisonnés dans les wagons qui les transportent jusqu’aux camps d’extermination. Mais l’auteur de L’Espoir malgré tout n’oublie pas de faire la part des choses, se gardant, par exemple, de mettre tous les Allemands dans le même sac, celui de l’idéologie nazie. Ainsi, à la fin du quatrième album, Spirou et Fantasio se retrouvent-ils en présence d’un soldat allemand, tout jeune, qui n’est manifestement pas un nazi, mais plutôt un gosse entraîné de force dans une effroyable tourmente et qui voudrait simplement pouvoir rentrer chez lui.

Il y aurait beaucoup à dire encore sur ces quatre albums, sur l’admirable travail de son concepteur, sur l’équilibre qu’il a su préserver. Ainsi du rôle, pas toujours très reluisant, des membres du clergé durant cette sombre période. On en voit quelques spécimens dans les albums. Quoi qu’il en soit, leur lecture est fortement recommandée aux enfants et aux adolescents (et aux adultes aussi) : ils y découvriront, sûrement avec grand intérêt, une page d’histoire en la meilleure compagnie qui soit, avec Spirou, Fantasio et (ne l’oublions pas !) Spip !

9/10

 

Luc Schweitzer, ss.cc.