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L’OMBRE DES FEMMES

Un film de Philippe Garrel.

Qui fait de l’ombre à l’autre? Qui se tient dans l’ombre et qui dans la lumière? Pour son énième variation sur le sentiment amoureux, sur les difficultés de vivre en couple, sur la fidélité et l’infidélité, Philippe Garrel, plus épuré et plus concis que jamais, touche juste. En à peine 1h10, il en dit autant sur ses personnages que beaucoup d’autres à qui il faut deux ou trois heures de cinéma pour ne rien dire ou presque!
Ici l’on sait tout de suite qu’on a affaire à des gens qui vivent chichement, sans grands moyens, au point qu’ils sont menacés d’être expulsés de chez eux. Et l’on sait aussi, rapidement, que c’est l’homme, Pierre (Stanislas Merhar), qui est dans la lumière, bien davantage que sa femme Manon (Clotilde Courau), qui se contente de l’assister. Certes il n’y a rien de très prestigieux dans ce que fait Pierre (Il tourne des films documentaires), mais tout de même, c’est lui dont le travail est reconnu et c’est elle qui reste dans l’ombre. Et quand ils s’invitent chez un couple de personnes âgées en vue de leur prochain documentaire, c’est l’homme qui est interviewé, c’est lui qui raconte ses prétendus exploits de résistant lors de l’occupation, tandis que sa femme se contente de proposer ses délicieux gâteaux à l’anis!
Est-ce à dire que les femmes sont condamnées à n’être que l’ombre de leur conjoint? Tout n’est pas si simple, bien entendu, et, quand il s’agit d’aimer, le coeur rempli d’ombres, le coeur défaillant et néanmoins pétri d’orgueil, c’est celui de Pierre. Car il ne s’embarrasse guère de scrupules quand l’occasion lui est donnée de faire d’Elisabeth (Lena Paugam), une stagiaire, sa maîtresse. Pour lui, pas question de quitter Manon, mais pas question non plus de ne pas multiplier les rencontres secrètes avec Elisabeth. Et si Manon, sentant qu’il la délaisse, ne se privait pas d’avoir un amant, elle aussi, qu’adviendrait-il? Qu’en sera-t-il de l’orgueil masculin? Et quelles répercussions dans le coeur de Pierre lorsque la souffrance de Manon s’exposera au grand jour?
Avec cette trame somme toute très classique, il était tentant de ne faire qu’un film redondant. Mais l’habileté de Philippe Garrel, et ce qui donne à son film un ton original, c’est d’avoir conçu son histoire à la manière d’un récit d’espionnage. Tout le monde espionne tout le monde, à commencer par le propriétaire de l’appartement de Manon qui cherche de bonnes raisons de brandir ses menaces d’expulsion, jusqu’aux protagonistes principaux du film qui, volontairement ou non, sont témoins des vies secrètes d’autrui. Et si, le plus souvent, c’est Pierre qui n’a pas le beau rôle, il se peut aussi qu’il y ait des désirs obscurs et de sombres tentations dans un coeur féminin. Quand l’occasion est offerte de faire du tort à sa rivale, il n’est pas si facile de résister!
C’est un film féministe qu’a réalisé Philippe Garrel, il me semble qu’on peut l’affirmer, mais ce n’est un film ni naïf ni simpliste. Simple dans son expression et dans sa réalisation très épurée, mais nullement simpliste! 

P. Luc Schweitzer, sscc.

Note: 8,5/10