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MA LOUTE

un film de Bruno Dumont.

S’il y a une chose qu’on ne saurait reprocher à Bruno Dumont, c’est d’être incapable de se transformer du point de vue stylistique. Après avoir réalisé quelques films au ton très austère et totalement dénué d’humour, le cinéaste a créé la surprise en mettant en scène une série télévisée au comique absurde et déjanté diffusée sur Arte en 2014 (« P’tit Quinquin »). Fort de cette expérience, voici qu’il présente aujourd’hui « Ma Loute », film en compétition au festival de Cannes et d’allure encore plus extravagante que la série qui l’a précédé.

Cela étant écrit et nonobstant les dithyrambes de quelques critiques (mais pas de tous, fort heureusement), je me dois d’exprimer à présent ma consternation et ma stupéfaction. Car s’il est vrai que Bruno Dumont a totalement changé de style ou de genre cinématographique, il n’en est pas moins vrai, me semble-t-il, que, pour ce qui concerne sa pensée, ou sa vision du monde et de l’humanité, rien n’a changé, si ce n’est en pire. Ce que je veux dire, c’est que le cinéaste n’a cessé, au fil de son œuvre, de faire montre de sa misanthropie et que cette misanthropie n’a jamais été ni aussi flagrante ni aussi repoussante que dans « Ma Loute ».

Personne n’est épargné dans ce film, ni les Van Pethegem, famille bourgeoise de Tourcoing venue se détendre en bord de mer, ni les Brufort, famille de pêcheurs locaux aux mœurs très particulières, ni l’inspecteur Machin et son adjoint Malfoy, fades épigones de Laurel et Hardy enquêtant sur de mystérieuses disparitions. Tout ce monde est croqué par le réalisateur avec un évident mépris : triste humanité de décadents, de dégénérés et d’abrutis. Mais non, c’est faire trop de concession à Bruno Dumont que de parler d’humanité à propos de ses personnages. En vérité, ils n’ont rien d’humain, ce sont soit des pantins qui se roulent par terre comme l’inspecteur Machin ou s’effondrent sur le sol à la façon d’une marionnette désarticulée, soit des baudruches qui s’envolent dans les airs. Et s’ils parlent, c’est en éructant ou en grimaçant comme des singes.

Tel est le spectacle offert par Bruno Dumont : comique si l’on veut, mais d’un comique détestable. Même le semblant d’histoire d’amour qui naît entre Ma Loute, l’aîné des Brufort, et Billie, une des filles des Van Pethegem (dont on se demande si elle est une fille ou un garçon), même cette histoire d’amour, dont on espère un instant qu’elle va illuminer le film, ne mène à rien d’autre qu’à un surplus de violence et d’abrutissement. Les pantins actionnés par Bruno Dumont sont comme tous les pantins, ils sont dépourvus de cœur et font juste semblant d’aimer. Chez Bruno Dumont, la seule façon d’aimer, c’est de s’entredévorer à la manière des anthropophages.

Quant aux acteurs, qu’ils soient amateurs ou professionnels (puisque, pour la première fois, le réalisateur a engagé des acteurs confirmés), ils surjouent leurs rôles au point qu’ils en deviennent agaçants. Fabrice Luchini, Juliette Binoche et Valeria Bruni Tedeschi n’ont jamais été ni aussi mal dirigés ni aussi irritants que dans ce film. On se demande bien pourquoi ils se sont laissé manipuler, eux aussi, comme des pantins grotesques, par le réalisateur.

Sous ses airs de comédie, c’est un triste film que propose Bruno Dumont, puisque dépourvu d’humanité. Dans une interview, quand on lui demande quels sont ses projets, le cinéaste répond qu’il s’apprête à tourner un film sur Jeanne d’Arc ! Mon Dieu ! Pauvre Jeanne ! Passée à la moulinette de Bruno Dumont, que restera-t-il d’elle ?

NOTE:  2/10

Luc Schweitzer, sscc.