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PATERSON

un film de Jim Jarmusch.

La ville de Paterson, dans le New Jersey, qui sert de cadre à ce film, n’a pas été choisie au hasard par Jim Jarmusch, son réalisateur. C’est là, en effet, que naquit et passa une grande partie de sa vie l’un des poètes américains les plus célèbres, William Carlos Williams (1883-1963). De 1910 à 1951, tout en y exerçant la profession de médecin, il réussit à consacrer une partie de son énergie à sa passion pour la littérature en général et la poésie en particulier.

Le personnage que Jim Jarmusch fait évoluer dans son film, personnage qui porte le même nom que la ville dans laquelle il réside, Paterson (interprété par Adam Driver), exerce, lui, un métier encore plus prosaïque que celui qui permettait à Williams de gagner sa vie : il est chauffeur de bus. Avec lui, nous parcourons la ville, une ville qui paraît assez sinistre, hormis cependant une chute d’eau qui lui donne un petit cachet touristique. Mais qu’importe ! C’est précisément l’une des facettes les plus intéressantes de ce film que de nous faire percevoir la poésie ailleurs que dans les clichés. Le poète n’a pas nécessairement besoin d’un lac, comme Lamartine, ni d’aucun autre site remarquable, pour donner sa mesure et faire entendre sa voix. Même les réalités les plus triviales, même les objets du quotidien qu’on ne remarque pas, le poète les voit, s’en empare et les transcende. Dans le film, le premier poème de Paterson (qui, on l’a compris, est non seulement chauffeur de bus mais poète) apparaissant à l’écran trouve son origine dans la simple vision d’une boîte d’allumettes. Le poème (comme tous les autres du film) s’écrit sous nos yeux, sur l’écran, pendant que Paterson le rédige dans le carnet qu’il emmène partout avec lui. Même au volant de son bus, avant de se mettre en route, il écrit.

Il écrit certes, mais pour qui ? Qui connaît ses poèmes ? Qui les lit ? Qui les appécie ? Sa femme Laura (Golshifteh Farahani), bien sûr, celle qui partage sa vie, celle qui est l’inspiratrice et à qui sont destinés tous les poèmes. Celle qui croit en lui, en son talent et qui le supplie de photocopier ses œuvres au lieu de ne les conserver qu’en un seul exemplaire dans ses carnets. Celle qui enchante le quotidien non seulement par sa beauté, non seulement par ses talents culinaires de faiseuse de savoureux cupcakes mais aussi par ses compositions, par ses décors de noir et blanc des plus somptueux.

Le film, lui aussi, est somptueux et il se savoure malgré son apparente monotonie, le réalisateur se contentant d’égrener chacun des jours d’une semaine. Chaque journée paraît semblable à l’autre, c’est vrai, et, pour une fois, on a affaire à un récit dénué non seulement de drames mais de tensions. Le couple formé par Paterson et Laura donne le sentiment d’une belle harmonie. En contrepoint, certes, le réalisateur met en scène une histoire de couple qui se sépare, dans le café que Paterson fréquente chaque soir, mettant ainsi à profit, si l’on peut dire, la balade qu’il se doit d’accorder à Marvin, son bouledogue jaloux et facétieux. En vérité, même cette histoire de couple qui se sépare n’apporte pas de véritable tension dans le film. Le seul véritable drame, en fin de compte, vient de celui qu’on n’attend pas et il prend, lui aussi, des allures de farce !

Jim Jarmusch a réalisé un film d’une grande simplicité, une simplicité telle qu’elle provoquera peut-être de l’ennui chez certains spectateurs. D’autres n’y décèleront que de la vacuité (c’est le mot qu’emploie le critique d’un site spécialisé dans le cinéma). Pour ce qui me concerne, bien au contraire, j’ai été profondément touché par les personnages de ce film et j’ai été conquis par le ton adopté par le réalisateur. Bien loin de m’ennuyer, j’ai trouvé dans cette œuvre l’inestimable goût de la poésie, ce goût qui m’a irrésistiblement séduit lorsque j’étais enfant et qui ne m’a jamais quitté.

NOTE:  9/10

Luc Schweitzer, sscc.