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SOUS LE CIEL D’ALICE

Un film de Chloé Mazlo.

 

Il fut un temps où l’on disait du Liban qu’il était « la Suisse du Moyen-Orient », pas seulement à cause des banques et des secrets bancaires, mais aussi à cause de sa stabilité, de sa beauté et parce qu’on pouvait y trouver le bonheur de vivre. Justement, au début de ce film, c’est une jeune femme venue de Suisse qui arrive à Beyrouth au début des années 50. Elle se prénomme Alice (Alba Rohrwacher) et quitte sans regrets son pays d’origine. On la comprend sans peine en voyant se dérouler une séquence d’animation réalisée au moyen de personnages en pâte à modeler que la cinéaste insère dans son film afin d’évoquer le passé helvétique de la jeune femme, manifestement élevée par des parents austères et rigides qu’il n’est pas difficile de laisser derrière soi. Au Liban, par contre, le bonheur semble à portée de mains. Dans un café où elle s’attable volontiers, Alice fait bientôt la connaissance de Joseph (Wajdi Mouawad), un ingénieur en aéronautique dont le rêve est d’envoyer, dès que possible, le premier Libanais dans l’espace. Le jeune homme a néanmoins suffisamment les pieds sur terre pour s’éprendre de la belle jeune femme et, bientôt, se marier avec elle.

Alice fait la connaissance de sa belle-famille, les années passent, non sans que vienne au monde Mona, la fille de l’heureux couple. Puis arrive la date fatidique du 13 avril 1975, jour où éclate une première fusillade à Beyrouth. C’est le début de la guerre civile. Tout à coup, c’est comme si ce pays, jusque là si paisible, était pris de folie meurtrière. Tout change alors, pour Alice, Joseph et Mona (Isabelle Zighondi) qui doivent accueillir chez eux d’autres membres de la famille venant s’y réfugier. Les périodes d’affrontement alternent avec des cessez-le-feu qui ne durent jamais longtemps. Le rêve libanais semble s’effondrer au point que se pose la question d’un éventuel départ. C’est le choix que fait Mona : au grand dam de sa mère, elle préfère s’en aller, partir à Paris où se trouve déjà son fiancé. Alice, quant à elle, souhaiterait rester envers et contre tout alors que Joseph la pousse à retourner en Suisse pour s’y reposer tout en se refusant lui-même à quitter son pays. Que fera donc Alice, elle qu’une scène audacieuse nous avait montrée en train de littéralement couper la racine la reliant à son pays d’origine ?

Chloé Mazlo, artiste plasticienne qui signe là son premier long-métrage, parsème son film de trouvailles étonnantes, presque bricolées, mais qui dégagent d’autant plus de charme. À plusieurs reprises, elle intègre des éléments d’animation, dessinés ou en pâte à modeler, chaque fois de manière attrayante. Quand elle montre les belligérants, il lui suffit de quelques personnages masqués et armés de part et d’autre d’une pseudo-barricade faite avec des sacs. Quant au Liban, elle le représente sous l’aspect d’une jeune femme portant un habit en forme de cèdre : une des scènes la montre aux prises avec la Mort exécutant sa danse macabre.

En privilégiant la métaphore, le film tout entier se garde de tout réalisme cru. Sans édulcorer les horreurs de la guerre, Chloé Mazlo préfère en souligner l’absurdité : « même dans le mal, nous sommes médiocres », affirme un présentateur de télévision. Mais c’est en suggérant la tristesse et les regrets éprouvés par les protagonistes que la réalisatrice parvient à des sommets : ainsi quand Mona se présente à un concours de piano et, plutôt que de jouer une Valse de Brahms, se met à chanter son pays meurtri ; ou quand Alice, agenouillée, prie le Dieu de toutes les nombreuses religions présentes sur le sol du Liban de lui rendre la paix ; ou encore quand Joseph enregistre les paroles qu’il n’a pas su dire de vive voix à Alice. En fin de compte, en usant de tous les moyens dont elle dispose, en ne se privant jamais d’inventivité dans la mise en scène, Chloé Mazlo remporte le pari de faire un film poétique sur un sujet empreint de gravité, et même de tragédie. N’est-ce pas une manière judicieuse de préserver la force intérieure et l’espérance, même en période de grande adversité ?

8/10

 

Luc Schweitzer, ss.cc.

 

http://https://www.youtube.com/watch?v=4N15wjw5KCA