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SUR QUEL PIED DANSER

un film de Paul Calori et Kostia Testut.

Les temps sont durs et les emplois précaires, Julie (Pauline Etienne) en sait quelque chose : dès l’ouverture de ce film (après une introduction en mode rétro), on la découvre se faisant virer de son travail dans une usine de baskets au profit d’une collègue sans doute jugée plus méritante. Qu’à cela ne tienne ! La jeune fille se met aussitôt en recherche d’un nouvel emploi et, fort heureusement, ne tarde pas à être prise à l’essai dans une fabrique de chaussures de luxe. Ouf ! Dès lors, Julie n’aspire plus qu’à une chose : qu’au bout de sa période d’essai elle puisse enfin obtenir un CDI et, ainsi, être libérée de tout tracas. Malheureusement, tout n’est pas si simple. Voilà que le journal local fait état d’un plan de modernisation de la fabrique d’escarpins. Pour les ouvrières, aucun doute, cette expression n’est là que pour cacher un plan social, autrement dit du travail délocalisé et des pertes d’emploi. Les voilà aussitôt en pleine effervescence, demandant des explications au patron et se postant devant l’usine avec banderoles et slogans. Julie, quant à elle, est bien embarrassée, elle ne sait sur quel pied danser : peut-elle se mettre du côté des ouvrières en révolte, au risque de perdre tous ses espoirs de CDI ? Elle ne tarde pas, pourtant, à être embarquée, presque malgré elle, dans le car des travailleuses en colère bien décidées à interroger le PDG de la marque en personne. Après avoir été faussement rassurées avec des promesses creuses, les voilà de retour à l’usine et bien dépitées lorsque Samy (Olivier Chantreau), un camionneur (amoureux de Julie), se laisse dévoyer pour vider l’entrepot de son stock. La lutte n’est pas finie, ni les soucis ni les déceptions pour Julie…

A-t-on donc affaire à un film social, implacable et réaliste, dans la veine de « La Loi du Marché » de Stéphane Brizé ? Eh bien non, pas du tout ! Le duo de réalisateurs, dont c’est le premier film, a choisi de mettre en scène cette histoire sur le mode de la comédie musicale ! Et ça fonctionne parfaitement. Ce n’est pas tout à fait quelque chose d’inédit : la veine sociale a déjà été présente dans des comédies musicales (« Une Chambre en Ville » [1982] de Jacques Demy ou encore « Pique-nique en Pyjamas » [1957] de George Abbott et Stanley Donen), mais jamais peut-être avec autant de force et d’intensité. Le mariage des contraires (la gravité du thème social et la grâce des chansons et des danses) non seulement ne choque pas mais s’avère exaltant. Il faut ajouter que les chansons ont été particulièrement bien écrites (elles sont signées de noms divers – Clarika et Olivia Ruiz, parmi d’autres, pour les textes ; Olivier Daviaud et Albin de la Simone pour la musique) et qu’elles s’intègrent parfaitement dans le récit. De même pour ce qui concerne les chorégraphies. Quant à la mise en scène, bien qu’orchestrée par des débutants, elle ne manque ni d’intelligence ni de subtilité. Malgré son sujet, on se régale d’un bout à l’autre du film : il y en a pour les yeux, pour les oreilles et pour l’esprit !

Rien n’est simpliste d’ailleurs dans l’histoire qui est ici mise en scène. Les personnages, et en particulier celui qu’incarne merveilleusement Pauline Etienne, ne manquent ni de finesse ni de complexité. « A quoi rêves-tu ? », demande l’un des personnages à Julie au cours du film. « A décrocher un CDI », répond-elle sans hésiter. Rien d’autre ne semble compter pour elle en effet, mais est-ce la vérité ? Au fond d’elle, dans les recoins secrets du cœur, ne se tapit-il pas autre chose qu’un rêve de travail non précaire ? Un rêve de liberté ou un rêve d’amour, peut-être bien…

NOTE:  8/10

Luc Schweitzer, sscc.