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TRE PIANI

Un film de Nanni Moretti.

 

Chez Nanni Moretti, de manière encore plus évidente que chez beaucoup d’autres réalisateurs, on peut facilement distinguer deux tendances qui se complètent l’une l’autre : d’une part un penchant pour la légèreté et la bonne humeur, celui qui incitait le cinéaste à imaginer un pape prenant la poudre d’escampette juste après son élection (Habemus Papam, 2011) ; d’autre part une inclination vers la mélancolie, celle qui présidait à la réalisation de La Chambre du Fils, chef d’œuvre de 2001. C’est cette propension au chagrin que l’on retrouve ici, dans un film certes moins abouti que celui que je viens de nommer, mais non dénué pour autant d’un grand nombre de qualités.

Une fois n’est pas coutume, c’est dans un roman que Nanni Moretti a trouvé son inspiration (Trois Etages, de l’écrivain israélien Eshkol Nevo). Et comme le suggère fort bien ce titre, l’on a affaire à trois familles résidant dans un même immeuble. C’est là ce qui fait le lien entre les trois intrigues qui composent le film. Ce procédé, qui consiste à dérouler plusieurs histoires qui s’entrecroisent sans avoir de liens directs entre elles (si ce n’est le décor), conviendrait peut-être davantage à une série à multiples épisodes plutôt qu’à un long-métrage. Néanmoins, Nanni Moretti parvient à ne bâcler ni les récits ni les personnages, et ce alors même que le film se divise en trois délimitations temporelles, l’action se déroulant sur une dizaine d’années.

Chacun des récits, chacune des intrigues, se déploie avec finesse et l’on n’a aucune peine à se familiariser avec les protagonistes. Nanni Moretti les caractérise si bien que l’on a le sentiment de ressentir, nous aussi, nous avec eux, leurs épreuves et leurs peines. Dès la première scène, très impressionnante, nous voilà projeté, en quelque sorte, dans le cours de ces vies chahutées. Cela commence, en effet, alors qu’il fait nuit et que tout semble paisible, par un tragique accident. Une voiture conduite par un jeune homme ivre percute une femme sous les yeux d’une autre femme, elle-même enceinte, et vient s’encastrer dans le rez-de-chaussée de l’immeuble. Ce drame met déjà en scène plusieurs des protagonistes du film et ses répercussions courront tout au long de celui-ci, tandis que d’autres épreuves surviennent pour d’autres personnages.

Je ne vais pas entrer dans tous les détails, mais il me semble important de souligner le propos de Nanni Moretti, ou plutôt les sujets (aux résonances très fortes de nos jours) que le réalisateur, par le biais de ses personnages, aborde avec grande intelligence : ainsi de l’harmonie d’un couple lorsque le mari, du fait de son travail, est très souvent absent ; ainsi des relations conflictuelles entre un père et son fils et du rôle de la mère qui se trouve prise entre les deux ; ainsi encore du soupçon d’abus sexuels sur une personne mineure ; ainsi enfin de la question du consentement lors d’une relation charnelle entre un adulte et une jeune fille qui semble s’offrir à lui. Tous ces sujets, Nanni Moretti les explore avec subtilité, aucun n’est édulcoré.

Ajoutons enfin que, si le film est empreint de mélancolie du fait du tragique de vies perturbées, il ménage pourtant, dans sa partie ultime, des chemins d’apaisement. Nanni Moretti n’a pas réalisé un film pessimiste. Ce sont, d’ailleurs, les personnages féminins qui sont les plus enclins à trouver des voies de guérison. D’une certaine façon, si l’on ne donne pas à ce qualificatif une acception trop militante, on peut dire que le cinéaste a signé un beau film féministe.

8/10

 

Luc Schweitzer, ss.cc.