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UNE VIE

un film de Stéphane Brizé.

Les spectateurs d’aujourd’hui, trop habitués peut-être à voir des films qui ne leur épargnent rien, à avoir affaire à des cinéastes qui se croient tenus de tout montrer à l’écran, prenant le risque du voyeurisme, ces spectateurs-là risquent fort d’être déstabilisés s’il leur vient l’idée d’aller voir cette adaptation d’un roman de Guy de Maupassant. Le réalisateur, Stéphane Brizé, y a fait des choix de mise en scène si radicaux qu’ils vont clairement à l’encontre de ce qui se pratique le plus souvent de nos jours. Son film est épuré à l’extrême, laissant de côté à peu près tout ce qui est de l’ordre du sensationnel ou de l’événementiel, ce qui, évidemment, peut surpendre et dérouter plus d’un spectateur. Il suffit d’aller voir, comme je l’ai fait, l’un après l’autre, « La Fille de Brest » d’Emmanuelle Bercot et ce film de Stéphane Brizé pour percevoir deux manières radicalement opposées de mettre en scène un récit. Dans « La Fille de Brest », film au demeurant intéressant, la réalisatrice a cru bon de tout mettre sous nos yeux, y compris le corps d’une défunte en train d’être autopsiée, ce que je déplore. Rien de tel dans « Une Vie », film qui élude, qui laisse hors champ presque tout ce qui est de l’ordre du spectaculaire. Je n’ai pas besoin de préciser que c’est la manière choisie par Stéphane Brizé qui me paraît de loin la meilleure. C’est celle qui respecte le spectateur, c’est celle qui parie sur son intelligence, sa perception et sa sensibilité (au lieu de lui servir un spectacle qu’il n’a plus qu’à consommer passivement).

Dans « Une Vie », c’est par le moyen d’une voix off ou d’un plan très fugace que le réalisateur évoque des moments importants de l’histoire, préférant montrer à l’écran l’avant et l’après plutôt que les événements eux-mêmes. Ceux qui ont vu récemment « La Mort de Louis XIV » d’Albert Serra (qui nous fait assister à l’agonie du roi-soleil jusqu’à la nausée) seront tout étonnés par le moyen dont use Stéphane Brizé pour nous renseigner sur le décès d’un des personnages du film : simplement en filmant son nom sur une pierre tombale, rien d’autre.

J’imagine bien volontiers que ce qui précède risque d’en décourager plus d’un. « Ce film, s’il est si économe en événements, doit être très ennuyeux », se dit-on peut-être. Mais non, il n’en est rien. Ou, plus exactement, ne s’ennuieront que ceux qui ne conçoivent le cinéma que comme un produit à consommer passivement, que ceux qui ne vont voir un film que pour assister à un spectacle qui ne leur demande aucune participation ni de compréhension ni d’imagination.

Ajoutons que, dans « Une Vie », Stéphane Brizé prend cependant grand soin de mettre en scène des moments clés du récit : non pas les événements à proprement parler, mais les choix que doit opérer son héroïne, Jeanne (jouée par Judith Chemla), choix qui déterminent son avenir. Deux de ces moments se déroulent d’ailleurs dans une confrontation avec un prêtre. D’abord avec le vieux curé de son village qui lui demande avec insistance si elle accepte de pardonner à son mari fautif. Ensuite, plus loin dans le cours de l’histoire, avec le nouveau curé, beaucoup plus jeune, avec qui elle débat rudement à propos de la vérité et du mensonge. Faut-il dire la vérité en toutes circonstances, quelles qu’en soient les conséquences, même lorsque la confession de vérité doit engendrer des désastres humains ?

Filmé en format carré (qui convient bien à cette histoire) et au moyen d’une superbe photographie, ce film, qui conte les malheurs d’une femme qui perd tout (y compris celui qu’elle aime le plus au monde, son propre fils) restera dans les mémoires, je le suppose, comme une des œuvres cinématographiques les plus touchantes de cette année.

NOTE:  8/10

Luc Schweitzer, sscc.